Creuser partout au Canada

12 Les sols du Québec

Tim Moore

OBJECTIFS D’APPRENTISSAGE

À la fin de ce chapitre, les étudiant(e)s seront capables de :

    1. Décrire les facteurs responsables de la répartition des sols au Québec.
    2. Identifier les horizons pédologiques diagnostiques associés aux Ordres et Grands Groupes de sols (selon le Système Canadien de Classification des Sols) du Québec.
    3. Décrire l’impact des activités humaines sur les sols de la région et relier les principales utilisations des terres aux propriétés du sol.

INTRODUCTION

Le Québec recèle une grande diversité environnementale, ce qui n’est pas surprenant puisqu’il s’agit de la province possédant la plus grande superficie terrestre avec 1,36 million de km2, soit 15 % de la surface du Canada. Une conséquence de cette diversité est la vaste gamme de sols que l’on y trouve, couvrant sept Ordres de sols, allant des Brunisols et Gleysols fertiles au sud de la province, aux Podzols de la forêt boréale, aux Brunisols du subarctique et aux Cryosols au nord. Cette diversité reflète l’éventail des facteurs pédogénétiques et leur contrôle sur les processus de pédogénèse.

FACTEURS PÉDOGÉNÉTIQUES AU QUÉBEC

Les matériaux parentaux du sol suivent en partie la géologie sous-jacente, allant des roches ignées et métamorphiques du Bouclier Canadien, aux roches métamorphiques de la région des Appalaches, aux roches sédimentaires sous-jacentes plus tendres de la vallée du Saint-Laurent (Bird 1980). Cependant, les matériaux d’origine reflètent aussi les dépôts sédimentaires associés à la sortie du Québec de la dernière glaciation.

Le Québec était recouvert par la calotte glaciaire des Laurentides jusqu’à il y a environ 12 000 ans, avant que sa partie la plus méridionale ne commence à se retirer vers le nord (Bird 1980; Richard et Occhietti 2005). La surface terrestre s’étant affaissée sous le poids de la masse de glace, la mer s’est rapidement engouffrée dans cette dépression, créant la mer de Champlain dans les basses terres du Saint-Laurent, qui déposa des sédiments marins riches en argile et à forte teneur en sel. Au fur et à mesure que la croûte terrestre s’élevait et émergeait de la mer et des lacs glaciaires, les argiles ont été remaniées et des dépôts de sable se sont accumulés, créant une riche mosaïque de textures de sol en aval sous l’effet de l’érosion des rivières. Les sédiments argileux déposés dans la mer de Champlain étaient initialement riches en sels; le lessivage de ces sels et l’incision causée par les rivières ont créé une instabilité des terrains. Cela a entraîné plus de 700 glissements de terrain et coulées de terre dans les basses terres du Saint-Laurent, d’Ottawa au Lac-Saint-Jean, dont certains ont détruit des terres agricoles et des maisons, et tué des gens, comme à Nicolet en 1955 et à Saint-Jean Vianney en 1971 (Oiseau 1980; Carson 1978). De tels glissements de terrain continuent de se produire au Québec et ont des conséquences dévastatrices. Recherchez « les glissements de terrain au Québec » sur le Web et vous verrez plusieurs images de la destruction associée à ces événements. Dans le nord-ouest du Québec, le lac Ojibway-Barlow s’est formé, déposant des sédiments fins qui forment maintenant la ceinture argileuse s’étendant du Québec à l’Ontario.

Alors que la calotte glaciaire continuait de se retirer vers le nord, la surface du sol était recouverte d’une mince couche de till sablonneux/pierreux. Le dernier vestige de la calotte glaciaire a disparu il y a environ 6 000 ans dans le centre-nord du Québec. Ainsi, les sols québécois se sont formés au cours des 6 000 à 10 000 dernières années, durant lesquelles le climat s’est réchauffé et la végétation s’est déplacée vers le nord pour occuper les sédiments glaciaires.

Le climat actuel varie d’une température annuelle moyenne de 7°C autour de Montréal (45°N) à -5°C à Kuujjuaq dans le nord du Québec (58°N). Les précipitations annuelles varient d’environ 1 000 mm dans le sud à environ 550 mm dans le nord, et la proportion de précipitations tombant sous forme de pluie varie de 80 % dans le sud à 50 % dans le nord. Le ruissellement varie de 400 mm au sud à 500 mm au nord, reflétant les différences de taux d’évapotranspiration; les sols sont plutôt humides, à l’exception des sols sableux et bien drainés au sud.

En raison des différences de climat, de topographie et de matériau parental, la végétation varie fortement, avec des forêts de feuillus dans le sud-ouest, des forêts mixtes dans le sud des Appalaches et de l’est du Québec, et des forêts dominées par les conifères dans le Bouclier Boréal. Au nord, les forêts boréales cèdent la place à des boisés subarctiques dans la taïga du Bouclier, où le lichen forme une importante couverture végétale, et à l’extrême nord du Québec à une toundra arctique dépourvue d’arbres. Partout au Québec, des dépressions recueillent de l’eau formant des tourbières qui contiennent des plantes adaptées aux conditions humides, telles que les carex et les mousses.

DISTRIBUTION DES SOLS AU QUÉBEC

Les sols du Québec suivent une distribution « zonale » classique, du sud au nord (Figure 12.1), reflétant l’influence dominante du climat et de la végétation, mais aussi la durée de formation des sols et les différences de matériau parental du sud au nord. Dans ces paysages, la topographie est importante, produisant des sols peu profonds sur des pentes raides à des sols mal drainés dans les dépressions.

 

Figure 12.1. Map of Soil Great Groups in Quebec and eastern Ontario (according to the Canadian System of Soil Classification). Map is a reproduction of an official work published by the Government of Canada and is based on the 1:1,000,000 Soil Landscapes of Canada map. © Darrel Cerkowniak, Agriculture and Agri-Food Canada, is licensed under a CC BY (Attribution) license.

L’Ordre pédologique dominant au Québec est le Podzol, couvrant 39 % de la surface de la province. Il comprend principalement le Grand Groupe Humo-Ferrique et se concentre sur les zones écologiques terrestres du Bouclier Boréal et de la Taïga du Bouclier (Tableau 12.1). Les Podzols sont généralement caractérisés par une épaisse accumulation de matière organique en surface, reposant sur un horizon Ae gris lessivé, puis par un horizon B brun-rougeâtre traduisant une accumulation de fer et d’aluminium et/ou de matière organique, lequel est défini par sa couleur et sa composition chimique (Sanborn et al. 2011). Les Grands Groupes Ferro-Humiques et Humiques, qui montrent des signes d’une plus grande translocation de matière organique à travers le profil en comparaison au Grand Groupe Ferrique, couvrent 5 % de la province et se forment principalement sous un climat plus humide, sur le Bouclier Canadien le long de la Côte-Nord dans l’est du Québec.

Table 12.1. Couverture des Grands Groupes et Ordres de sols au Québec

Grands groupes Ordres Superficie (km2) Grands groupes (%) Ordres (%)
Brunisol Mélanique Brunisol 9,714 0.71 17.4
Brunisol Eutrique Brunisol 3,279 0.24
Brunisol Sombrique Brunisol 153 0.01
Brunisol Dystrique Brunisol 223,940 16.44
Cryosol Turbique Cryosol 79,867 5.86 5.9
Cryosol Organique Cryosol 65 0
Cryosol Statique Cryosol 172 0.01
Gleysol Luvique Gleysol 4,360 0.32 2.7
Gleysol Gleysol 14,210 1.04
Gleysol Humique Gleysol 17,863 1.31
Luvisol Gris Luvisol 22,553 1.66 1.7
Fibrisol Organic 7,668 0.56 8.1
Humisol Organic 5,327 0.39
Mésisol Organic 96,848 7.11
Podzol Humique Podzol 1,894 0.14 38.8
Podzol Humo-Humique Podzol 463,518 34.03
Podzol Ferro-Humique Podzol 62,825 4.61
Regosol Regosol 41,044 3.01 3
Non-défini 303,190 22.26 22.3
Total 1,362,237

Le deuxième Ordre en termes de superficie est l’Ordre des Brunisols, couvrant 17 % de la province, dominé par le Grand Groupe Dystrique, principalement dans les zones écologiques de la Taïga et du Bouclier Boréal, où le développement du profil n’est pas assez avancé pour que les sols puissent appartenir à l’Ordre des Podzols. Les Brunisols sont caractérisés par l’absence d’un seul processus pédogénétique dominant et la formation d’un horizon Bm brun, indicatif d’une certaine altération (Smith et al. 2011). Les Podzols et le Grand Groupe Brunisolique Dystrique se forment sur des matériaux minces et acides, à texture grossière, déposés lors du retrait glaciaire. Les Brunisols Dystriques peuvent se transformer en Podzols sur plusieurs milliers d’années de pédogénèse, comme c’est le cas dans les dépôts sableux exposés à la baisse relative du niveau de la mer le long de la Côte-Nord du Québec, entraînant le remplacement de l’horizon Bm par des horizons Bfc cimentés aux sesquioxydes (Moore 1976). Les sols du Grand Groupe des Brunisol Mélaniques, résultent de l’incorporation de matière organique dans la couche supérieure de l’horizon minéral par des organismes terricoles. Ils se trouvent là où le matériau parental est calcaire avec un couvert forestier de feuillus, principalement dans le sud-ouest du Québec et dans la ceinture argileuse.

Les sols Organiques, définis par une accumulation de matière organique de plus de 40 cm d’épaisseur, couvrent 8 % de la province. Les sols Organiques sont majoritairement des Mésisols, dans lesquels la plupart du profil montre un niveau intermédiaire de décomposition de la litière végétale, alors que les Fibrisols et Humisols montrent des niveaux de décomposition respectivement moins et plus élevés (Kroetsch et al. 2011). Lorsque la topographie et le climat concourent à produire des conditions d’accumulation d’eau, la décomposition de la litière végétale est ralentie, produisant des sols Organiques avec jusqu’à 5 m de tourbe. Dans certaines zones humides, telles que les tourbières, la litière végétale est naturellement récalcitrante, notamment celle des mousses de sphaigne qui sont à la base de la formation de la tourbe. Les tourbières peuvent être trouvées dans des dépressions argileuses dans les basses terres du Saint-Laurent, sous forme de tourbières acides et de marécages plus riches en nutriments, et dans des sections gorgées d’eau du Bouclier Boréal et de la ceinture argileuse. La côte est de la baie James comprend le prolongement des basses terres de la baie d’Hudson, dominées par des sols Organiques couvrant 0,25 million de km2.

Les Cryosols, reposant sur le pergélisol, couvrent 6 % de la surface du Québec et se concentrent dans la partie la plus septentrionale de la province, dans les zones écologiques du sud et du nord de l’Arctique, ainsi que le long de la côte de la baie d’Hudson. Sous un climat plus froid et au nord de la limite des arbres, des terrains de pergélisol sporadiques se développent, y compris des palses, qui sont des buttes de tourbe ou de sol minéral possédant un noyau de glace et se développant dans les tourbières et les zones humides (Tarnocai et Bockheim 2011). Au nord du 58° parallèle, le pergélisol continu recouvre le paysage de Cryosols Turbiques, dans lesquels les activités de gel-dégel modifient le profil du sol par cryotubation.

Les Gleysols recouvrent 3 % du Québec et se forment dans des zones où les conditions de drainage sont mauvaises, dans des dépressions ou sur des matériaux parentaux à texture lourde tels que les sédiments glacio-marins des basses terres du Saint-Laurent et de la ceinture argileuse. La nappe phréatique élevée crée des caractéristiques morphologiques comme des matrices de couleur grise qui peuvent inclure des marbrures brunes ou rougeâtres, indiquant des processus d’oxydoréduction ou de gleyification (Bedard-Haughn 2011). Cela résulte de l’appauvrissement en oxygène sous la nappe phréatique entraînant la réduction du fer de l’état ferrique insoluble (Fe3+) à l’état ferreux soluble (Fe2+), qui quitte ensuite le profil du sol, produisant une couleur grise. Le fer peut aussi se déplacer vers des microsites qui retiennent des conditions oxydantes, produisant des marbrures caractéristiques.

Les Luvisols, principalement du Grand Groupe des Luvisols Gris, couvrent 2 % de la province, et se trouvent principalement dans la ceinture argileuse. Les Luvisols se forment sur des sédiments riches en argile contenant du calcium et du magnésium et sont caractérisés par la translocation de l’argile de la partie supérieure à la partie médiane du profil du sol, produisant un horizon Bt enrichi en argile (Lavkulich et al. 2011).

La zone cartographiée restante comprend des Régosols (3 %) qui sont des sols faiblement développés ne comprenant pas d’horizon B reconnaissable d’au moins 5 cm d’épaisseur. Ils se forment sur des sédiments récemment exposés, sur des pentes abruptes entraînant une érosion et un mouvement de masse, ou encore là où le matériau parental est résistant aux intempéries, comme sur le Bouclier Canadien (VandeBygaart 2011). Enfin, 22 % du territoire demeure indéfini, principalement dans l’extrême nord du Québec.

INTERACTIONS HUMAINS-SOLS AU QUÉBEC

Les activités humaines ont eu un effet profond sur les sols au Québec. Les peuples autochtones Algonquins et Iroquois du sud du Québec occupaient les sols des basses terres du Saint-Laurent et développaient une agriculture sur les sols les plus fertiles, laquelle atteignit son apogée au XVIe siècle. Riley (2013) soutient que l’arrivée des Européens perturba l’équilibre délicat entre les sols et l’environnement que le mode de gestion indigène entretenait, ce qui provoqua un déclin de la population autochtone. Les opérations forestières généralisées au XIXe siècle accentuèrent l’érosion et la dégradation des sols. Avec les arrivées européennes, l’utilisation des terres pour l’agriculture s’intensifia, se concentrant le long du fleuve Saint-Laurent. À partir de la première partie du XIXe siècle, les européens développèrent également une exploitation forestière extensive. La variété de texture du sol offrait un éventail d’activités viables, avec des cultures arables sur les sols riches en argile, du tabac sur les sols sablonneux près de Joliette et des vergers de pommiers sur les sols graveleux autour des collines Montérégiennes.

L’empreinte de l’occupation humaine ne se limite pas aux sols du sud du Québec. Dans le nord, des peuples nomades pêchaient et chassaient il y a plus de 3 000 ans, bien que les preuves archéologiques soient difficiles à trouver en raison d’une mauvaise conservation des ossements dans les sols acides. Néanmoins, les sols contiennent des traces d’occupation, comme des foyers qui ont modifié la morphologie du sol et des changements chimiques associés à l’accumulation d’ossements de poissons et de caribous. Le meilleur indicateur de ce dernier est l’augmentation de la concentration en phosphore du sol par rapport aux conditions non perturbées, ainsi que les changements dans le fractionnement du phosphore, en particulier une augmentation de la fraction de phosphate de calcium (Moore 1986; Moore et Denton 1988).

L’introduction de la loi fédérale sur le drainage à partir du milieu du XIXe siècle permit une utilisation plus étendue des sols humides mais potentiellement fertiles des basses terres du Saint-Laurent et conduisit à la colonisation d’emplacements nordiques, tels que la ceinture argileuse dans le nord-ouest du Québec et autour du lac Saint-Jean, qui ont des sols à texture lourde.

L’introduction de vers de terre dans les forêts québécoises, par la pêche et l’agriculture, a également affecté les sols. La couche de litière forestière de feuilles à la surface du sol peut être partiellement consommée par les vers de terre, ce qui relargue du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, mélangée à l’horizon minéral sous-jacent ou, dans le cas des vers de terre vivant en profondeur, être incorporée dans les couches minérales du sous-sol (Wironen et Moore 2006).

Bien que les sols québécois couvrent plus d’un million de km2, les sols à fort potentiel agricole couvrent une petite superficie. L’Inventaire des Terres du Canada (ITC) a identifié 600 km2 de sols de classe 1 (ceux sans limitation significative pour les cultures), 10 000 km2 de sols de classe 2 (ceux qui ont des limitations modérées) et 13 500 km2 de sols de classe 3 (sols montrant des limitations modérément sévères, principalement reliées à l’humidité et la fertilité) (Tableau 12.2). Ces classes de sols ne représentent respectivement que 0,2, 2,9 et 4,2 % de la superficie inventoriée dans le cadre de l’ITC (essentiellement au sud du 49° N) et sont situées principalement dans les terres autour de Montréal, avec des poches le long du fleuve Saint-Laurent et dans la région du lac Saint-Jean, ainsi que dans de petites zones de la ceinture argileuse du nord-ouest du Québec. Les sols de classe 1 et 2, surtout lorsqu’ils sont drainés, ont donné naissance à la fertile « ceinture de maïs » des basses terres du Saint-Laurent, maintenant couramment en rotation avec le soya. Les sols de classes de potentiel 1 à 3 ont une superficie très restreinte qui représente en moyenne 0,28 ha par Québécois (équivalent à un quart d’un terrain de football), la plus petite valeur de toutes les provinces du Canada et la moitié de celle de l’Ontario. De plus, environ 80 % des sols de bonne qualité (classes 1 à 3) sont déjà couverts de terres cultivées, et ce pourcentage atteint 88 % lorsque les pâturages sont inclus, un pourcentage important par rapport à d’autres régions du Canada. La conservation de cette zone limitée de sols de bonne qualité est par conséquent primordiale.

Table 12.2. Répartition des sols propices à l'agriculture au Canada (Classes de capacité de l'Inventaire des terres du Canada 1, 2 et 3*) par province ou région, et par rapport à la population (estimée pour 2019) et à la superficie des terres cultivées

Région Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 1-3 Population Classe 1-3 /population Cultures Pâturages Cultures /Classe 1-3
(Milliers de km2) (Million) (Hectare par personne) (Milliers de km2)
Atlantique 0 5.89 22.78 28.67 2.4 1.19 3.1 0.9 0.11
QC 0.6 9.54 13.63 23.77 8.4 0.28 18.7 2.2 0.785
ON 22.49 23.6 32.79 78.87 14.4 0.55 36.5 5.3 0.463
MB 1.83 25.56 25.61 53.01 1.4 3.79 46.7 17.4 0.88
SK 10.72 64.46 100.82 176.00 1.2 14.67 163.9 65.1 0.931
AB 7.08 38.97 62.88 108.93 4.3 2.53 102.2 86.1 0.938
BC 0.7 3.98 10 14.68 5 0.29 5.8 16.4 0.395
* L’Inventaire des Terres du Canada (https://sis.agr.gc.ca/siscan/publications/maps/cli/1m/agr/index.html)
Les cultures sont définies comme des « terres en cultures » et les pâturages comme « pâturages cultivés ou ensemencés + terres naturelles pour le pâturage » dans l’utilisation des terres de Statistiques Canada (2016) (https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=3210040601&pickMembers%5B0%5D=1.1&request_locale=fr)

Une législation a été introduite par le gouvernement provincial en 1978 afin de préserver les terres et activités agricoles, en particulier les sols de bonne qualité, dont la surface est très limitée dans la province. Cela a été appliquée dans la région autour de Montréal, pour empêcher un « étalement suburbain » généralisé pouvant concurrencer les activités agricoles sur les meilleurs sols. La zone agricole, à laquelle s’appliquait la législation, couvrait 64 000 km2, soit seulement 12 % de la superficie du Québec, preuve supplémentaire de la rareté des bons sols agricoles. La législation a depuis été assouplie, de sorte que l’étalement suburbain occupe désormais certains des sols riches au large de l’île de Montréal (voir www.cptaq.gouv.qc.ca/fileadmin/en/publications/guides/Summary.pdf pour un aperçu de la Loi sur la préservation terres et activités agricoles au Québec). Avec les changements climatiques, le potentiel agricole des sols de la ceinture argileuse et de la région du Lac-Saint-Jean pourrait s’améliorer.

Le prélèvement d’arbres a lieu depuis trois siècles au Québec. Il s’est d’abord fait à petite échelle par les communautés autochtones, mais s’est intensifié avec la colonisation européenne, de sorte qu’il reste peu de peuplements forestiers non perturbés. La récolte des arbres a eu lieu sur une large gamme de sols, principalement des Podzols et des Brunisols, mais aussi des Gleysols; contrairement à la Finlande, les tourbières n’ont pas été drainées pour favoriser la croissance des arbres. Étant donné la nature peu profonde de ces sols et leur fertilité limitée, notamment pour les Podzols, la récolte des arbres peut entraîner l’épuisement des réserves de nutriments. L’épuisement des éléments nutritifs par les opérations de récolte répétées constitue une menace pour la durabilité des opérations forestières sur ces sols. Thiffault et al. (2011) ont examiné les effets de la récolte d’arbres entiers par rapport à la récolte de tiges seulement sur les propriétés du sol dans les forêts boréales et tempérées. Ils ont montré qu’en général, la récolte d’arbres entiers, telle qu’elle est pratiquée dans les coupes à blanc, conduit à un appauvrissement du sol plus important en carbone, azote, phosphore et cations basiques, notamment sur les sols à texture grossière. Cependant, il existe une grande variabilité dans l’ampleur de la réponse en fonction des différents types de forêts, du climat et des caractéristiques du sol.

De vastes zones humides et de tourbières (Fibrisols et Mésisols, c’est-à-dire des tourbières à matière organique respectivement faiblement et modérément décomposées) se sont formées à partir de la décomposition lente de sphaignes, d’arbustes et d’arbres, dans des conditions acides et saturées d’eau. Ces zones ont une valeur très limitée pour l’agriculture, mais d’importantes zones de tourbières du Québec, ainsi que du Nouveau-Brunswick et de l’Alberta, ont été exploitées pour y extraire de la tourbe horticole. En survolant la vallée du Saint-Laurent, on peut voir que de grandes tourbières ont été asséchées pour en extraire la tourbe de surface à l’aide d’aspirateurs géants après que la végétation a été supprimée. La tourbe est ensuite moulue, séchée et conditionnée pour un usage résidentiel (les sacs de « tourbe horticole » de jardin achetés au printemps), bien que la majorité soit utilisée à des fins horticoles, comme substrat pour les légumes et les fleurs et, plus récemment, la marijuana.

En revanche, les Mésisols et les Humisols, des tourbières formées à partir de végétation dans des conditions plus nutritives et donc plus décomposées, ont été largement drainées dans les basses terres du Saint-Laurent pour y développer l’agriculture, notamment maraîchère. L’abaissement de la nappe phréatique augmente la vitesse à laquelle la tourbe se décompose, libérant du dioxyde de carbone, et provoque un rétrécissement de la couche de tourbe ainsi qu’une érosion éolienne, abaissant la surface de la tourbe d’environ 2 cm par an (Glenn et al. 1993; Parent et al. 1982). Ces sols, à l’origine de 1 à 1,5 m d’épaisseur, ont une durée de vie limitée.

Enfin, les changements climatiques commencent à affecter les sols québécois. Cela va de la sécheresse estivale aux inondations printanières plus fréquentes dans le sud, à la fonte du Cryosol dans le nord, avec pour conséquence une instabilité des sites de transport et d’habitation.

RÉFÉRENCES CITÉES

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À propos de l’auteur

Tim Moore, Département de géographie, Université

Tim Moore, détentrice d’une attribution CC BY-NC-ND

La famille de ma mère était des maraîchers et elle avait « la main verte »; il n’est donc pas surprenant que j’aie été exposé aux sols très tôt. J’étais professionnellement attiré par les sols car ils sont à l’interface de nombreux aspects de l’environnement et de l’activité humaine. Mes recherches portent sur les relations entre le sol et l’environnement, en particulier le rôle biogéochimique des sols dans la régulation des flux de gaz, de nutriments et d’éléments entre le sol et l’atmosphère, la biosphère et l’hydrosphère, et l’impact de l’activité humaine sur ces flux. Je m’intéresse particulièrement aux tourbières et zones humides, ainsi qu’au contrôle que ces écosystèmes exercent sur le cycle du carbone.